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Les foules sont le terreau du social, une réserve énergétique d’où émergent formes et informations d’apparence chaotique.
La foule est un grand corps à la conscience o ante, qui vit et qui respire, s’emporte et nous entraîne, transme ant à chacun de fortes vibrations : au mieux, le sentiment d’appartenance à une communauté ou à un territoire ;
au pire, la quête inépuisable de boucs émissaires. Ce e apparence instable, ambivalente de la foule explique peut- être que seule sa masse semble digne de considération. Même bornée et manipulée, elle pèse, par adhésion comme par asservissement. La validation par la majorité, les succès d’audimat ou la mobilisation massive restent le cadre dominant du marketing consumériste et de l’action politique. Un cadre approximatif puisque aucun d’entre nous ne doute au fond que Galilée avait raison, seul, et contre l’opinion du monde entier.
En ce sens, la foule appartient aux impensés de l’époque. Elle est notre malaise. Notre hypothèse ici est qu’elle demeure pourtant d’actualité, ou acquiert aujourd’hui une actualité nouvelle. Car si l’idéal révolutionnaire
de renversement du cours du monde nécessitait une mobilisation ample et indistincte des masses, les déséquilibres multiformes du siècle qui s’ouvre à nous exigeront une mue beaucoup plus radicale. Seule la conversion patiente de multiples gestes quotidiens chez des milliards d’individus di érenciés semble à même de cristalliser les conditions d’une société soutenable, c’est-à- dire autorégulatrice et a entive.
Une multitude d’intelligences autonomes, désynchronisées et collaboratives devient-elle pensable ? Avant de l’envisager, nous vous proposons ici d’abandonner la masse pour étudier la foule en détail, par ses caractéristiques physiques : sa viscosité ou sa granulométrie, par sa
biologie : ivresses, èvres ou sensualité, par son économie politique : sa malléabilité, sa canalisation et ses paniques, par sa grammaire : son potentiel électrique, sentimental, sacri ciel ou mystique.
Philippe Mouillon
Texte original de ….
La multitude : un concept creux ?
par Yves Citton
( extrait de )
Revue internationale des livres et des idées de mai 2010
Photo : HHG
L’opéra chimérique
studio-babel est un opéra numérique d’échelle urbaine, qui tente de renouveler l’espace public en le scénarisant, en le re-présentant autrement. Identité individuelle et appartenance collective, ancrage local et imaginaire planétaire sont au coeur des problématiques travaillées par cette nouvelle installation.
studio-babelconstruit un voisinage mondial articulant les attachements identitaires contemporains, interrogeant l’émergence de formes hybrides, et assemble le cercle familier et composite de notre entourage quotidien avec l’altérité radicale, luxuriante, instable, du système monde. Car derrière l’échelle locale de sujets apparemment ancrés dans une identité stabilisée, situés dans un temps et un espace nécessaires, s’échangent époques et références, se bricolent des attachements inconnus, certains savants, d’autres étourdis. Ces hybridations bouleversent et renouvellent les ancrages identitaires et les formes héritées. Des stabilités millénaires s’effacent ou s’exacerbent, s’enchâssent dans des formes identitaires floues ou les rejettent, traversent des turbulences browniennes où elles se nouent, s’affolent, s’apprivoisent, ou disparaissent pour un nouveau millénaire.
Pour cerner ce système-monde, studio-babel conjugue différentes échelles de travail : un processus local d’adresse à la population utilisant un studio ambulant d’échelle urbaine qui se déploie d’un site à l’autre de l’espace public, jouant du bouche-à-oreille et de l’effet d’intrigue. Un second processus de proximité, mais disséminé sur la planète, où la plasticienne Maryvonne Arnaud réalise une encyclopédie photographique des attitudes sociales et des postures culturelles alors que le compositeur Bernard Fort dans un troisième cercle converse avec des habitants et en immortalise le grain de la voix dans leurs multiples langues maternelles.
Sons et images d’origine mondialement locale sont ensuite finement ciselés puis assemblées numériquement dans un système dynamique composé en commun avec Philippe Mouillon. Lors de sa création en avril 2011, à l’invitation du festival Les Détours de Babel, l’opéra fut généré aléatoirement en continu durant 360 heures sur 3 écrans de 7 mètres de hauteur et 16 pistes sonores.