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Le précaire question contemporaine
Le risque de précarisation hante la vie sociale. Les sondages en attestent, nos concitoyens citent la précarité comme une de leurs angoisses principales. L’imaginaire d’aujourd’hui est alimenté par cette crainte comme il le fut par la crainte nucléaire durant la guerre froide, ou comme les consciences furent, durant un millénaire, implacable- ment soumises à la probabilité de l’enfer. L’émergence de cette crainte intrigue, notamment parce que, comme le souligne Zygmunt Bauman, “chaque époque possède ses peurs propres qui la différencient des autres époques, ou plus exactement donne à des peurs connues de toutes les autres époques un nom de sa propre création”.
Que se passe-t-il donc pour que l’instable, l’indécidable, l’imprévisible, l’incertitude, ne soient pas vécus comme des potentialités précieuses ouvrant notre destinée future mais comme des tumeurs rongeant notre existence ordinaire ? Pourquoi le précaire n’est-il pas vécu comme une réalité éternelle de l’expérience humaine, mais comme une menace nouvelle ?
Après les danses macabres du Moyen Âge nissant plongé dans la guerre et les grandes épidémies, l’époque baroque et le maniérisme ont masqué une immense inquiétude qui n’est peut-être pas sans parenté avec notre époque. Si aujourd’hui la télévision et la publicité vantent sous une forme ludique, permissive et décontractée, un certain paradis acces- sible par une hypertrophie de consommation, nous n’en sommes pas totalement dupes car nous restons minés par notre incapacité à projeter un avenir. Notre perspective la plus optimiste du futur est le maintien du présent au présent, sans dégradation. En ce sens, notre horizon temporel s‘éphémérise, et les précaires contribuent peut-être à nous rendre visible cette impasse.
Comme dans les peintures de Jérôme Bosch, un peuple furtif s’in ltre dans nos rues et otte sans nombre sur la Méditerranée.
Il est surnuméraire parce qu’il est insolvable, et l’insolvable semble désormais voué à l’oubli, à l’abandon, à la disparition pure et simple. Cette insécurité radicale délie les formes connues et stabilisées d’organisation sociale pour en esquisser d’autres, encore balbutiantes.
Il en rayonne une multitude d’hypothèses que nous avons choisi d’aborder en créant un milieu associé composé d’artistes et de chercheurs disséminés en Europe. C’est à une première étape de ce travail de (re)composition esthétique du social que nous vous invitons ici.
Philippe Mouillon
Plaire (3’41)
Exposure – Installation urbaine
12 représentations d’un monde précaire
Parvis du musée de Grenoble / 19 septembre > 7 octobre 2008
Plan-07 Habsburgerring 2-12 / Cologne, 21 septembre > 4 octobre 2007
Une installation urbaine composée par Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon avec les contributions originales de Zygmunt Bauman, Stefano Boeri, Daniel Bougnoux, Yves Citton, Laurent Grappe, Bruno Latour, Bernard Mallet, Lionel Manga, Henry Torgue, Janek Sowa,
EXPOSURE aborde la mutation sociétale actuelle et les discordances symboliques qui l’accompagnent en centrant notre attention sur le risque de précarisation qui hante la vie sociale. Les sondages en attestent, nos concitoyens citent la précarité comme une de leurs angoisses principales. L’incertitude pèse sur nos repères individuels et collectifs, déliant les formes connues et stabilisées d’organisation sociale, et génère une angoisse largement perceptible.
L’émergence de cette crainte intrigue. La manipulation de l’incertitude ayant toujours constitué l’essence même du pouvoir, il peut être instructif de s’interroger sur le sens de cette peur qui émerge du nouveau siècle, comme si ce monde était en désaccord si profond avec nos images mentales qu’il en était devenu impensable.
La fragilité ressentie devant l’impensable est évidemment éternelle : “Chaque époque possède ses peurs propres qui la différencient des autres époques, ou plus exactement donne à des peurs connues de toutes les autres époques un nom de sa propre création” rappelle le philosophe Zygmunt Bauman. Si aujourd’hui la peur de la précarité s’exprime socialement de façon pressante, d’autres époques ont vécu cette désorientation. L’imaginaire actuel est alimenté par cette crainte comme il le fut par exemple durant la guerre froide par la crainte d’une guerre nucléaire, ou comme les consciences furent durant un millénaire implacablement soumises à la probabilité de l’enfer. EXPOSURE compose les représentations historiques de nos peurs ancestrales et les approches philosophiques et artistiques contemporaines, pour tenter de représenter cette fragilité qui mine notre espace public.
Alors que l’art du vingtième siècle exposa le spectateur à une insécurité esthétique radicale, EXPOSURE opère un déplacement qui inclut notre propre incertitude. Le choix de l’échelle urbaine et de ces roulottes directement extraites de la vie quotidienne permet d’inscrire dans l’espace commun une dramaturgie qui renouvelle notre regard en cultivant une forme d’indiscipline mentale.
EXPOSURE est réalisé par Laboratoire sculpture-urbaine en partenariat avec le Musée de Grenoble et le Musée Dauphinois, avec les soutiens de la Fondation de France, du Conseil Général de l’Isère, de la Région Rhône-Alpes, du Ministère du développement et de l’aménagement durables, de Grenoble-Alpes-Métropole, de la Ville de Grenoble, et avec la coopération de Plan-Project (Cologne), Multiplicity (Milan), Wyspa Institute of Art (Gdansk), Hexagone-scène nationale de Meylan, MC2 Grenoble.